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« Art = histoire de l’art », ma méthode pour raconter une œuvre contemporaine en s'appuyant sur l'histoire de l'art

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« Art = histoire de l’art », ma méthode pour raconter une œuvre contemporaine en s'appuyant sur l'histoire de l'art

Fraîchement arrivée dans l’aventure Artwork in promess et passionnée par l’art contemporain, c’est avec plaisir que je (Clara, en charge des projets artistiques) vous propose aujourd’hui un petit exercice de style… Comment pouvons-nous lire une oeuvre d’art contemporaine avec le regard de l’histoire de l’art ?

Lor-K, série “Vente Flash”, 2013, Paris

Lor-K, série “Vente Flash”, 2013, Paris

En fait, c’est très rapidement que mon radar interne s’est déclenché quand je me suis penchée sur le travail de Lor-k, une street artiste soutenue par Artwork in promess. Pourquoi me diriez-vous ? Et bien parce qu’elle m’a amené à me poser une question existentielle dans la philosophie de l’art :

L’art est-il meilleur quand il puise son inspiration dans l’histoire de l’art ?

Il m’arrive parfois d’enclencher la méthode que j’appelle « art = histoire de l’art », qui consiste à réussir à placer une œuvre contemporaine dans la continuité de l’histoire de l’art. En mettant ainsi en parallèle une oeuvre dont l’histoire n’est pas encore écrite et une oeuvre qui a profondément marqué une époque, c’est un peu l’équation magique : différents éléments du passé, du présent et du futur viennent s’imbriquer et se confronter pour nous amener à une réflexion très personnelle et intellectualisée.

Partons donc explorer cette méthode, un peu intello sur le papier, c’est vrai, mais qui peut aussi être très plaisante quand on dispose des quelques clés nécessaires… 

Première étape : associer un artiste contemporain à un artiste historique

Un peu comme une évidence, la connexion a été immédiate : Lor-K, artiste partenaire d’Artwork in promess, me rappelle Claes Oldenburg, figure majeur de l’art contemporain américain des années 1960. C’est avant-tout une question visuelle, car oui, notre premier rapport à une œuvre d’art, qu’on se le dise, est un contact physique et ce premier avis est important. L’exercice est simple, deux photos suffisent pour vous montrer que le lien entre les deux artistes est évident, esthétiquement parlant.

Claes Oldenburg, “Floor Cake”, 148 x 290 x 148 cm, coton, 1962

Claes Oldenburg, “Floor Cake”, 148 x 290 x 148 cm, coton, 1962

Lor-K, série “Eat Me”, assemblage de matelas, Paris, 2016

Lor-K, série “Eat Me”, assemblage de matelas, Paris, 2016

Mais vous vous en doutez, si je vous parle de cette association d’artistes, c’est que je pense qu’elle est encore plus intéressante qu’une simple comparaison esthétique. En fait, elle montre un raisonnement typique que l’on peut avoir face à une œuvre d’art contemporaine : essayer de l’inscrire dans la continuité de l’histoire de l’art. Alors bien que ce ne soit pas une obligation, car chacun est libre d’apprécier (ou non) une œuvre comme il le veut et par ses propres mécanismes, je trouve personnellement l’exercice intéressant, et encore plus quand on connaît un peu (beaucoup) l’histoire de l’art contemporain. C’est parti, démonstration. 

Deuxième étape : décortiquer le contexte et comprendre le propos 

Claes Oldenburg, 91 ans, est un artiste américain, connu pour sa riche période artistique dans les années 1960, appartenant au mouvement du pop art. Lor-K, 32 ans, est une artiste française, inscrite dans le mouvement de l’art urbain. Bien, on aurait presque l’impression que peu de choses lient nos deux protagonistes et pourtant… Un retour dans le temps s’impose. Claes Oldenburg est un artiste de la côte Est qui travaille dans les années 1960 dans le domaine sculptural. À cette époque, c’est le « Good Design » qui prime aux Etats-Unis : la norme de goût se tourne, comme son nom l’indique, vers une volonté de pureté, de pragmatisme, de « bonne forme » voire de moralité.

Vue de l’exposition “Good Design” au Museum of Modern Art de New York, 1951-1952

Vue de l’exposition “Good Design” au Museum of Modern Art de New York, 1951-1952

Autant vous dire qu’il devient alors compliqué de s’imposer comme sculpteur avec un propos original à cette période. Oldenburg, pour trouver sa place dans ce monde de l’objet, va réaliser des sculptures qui font appel à la sensibilité et à la mémoire plutôt qu’à la fonctionnalité. Et tant qu’à faire, il va complètement déconstruire une des particularités primordiales de la sculpture : le travail des matériaux solides. Voilà comment entrent dans le monde de l’art les fameuses « soft sculptures » de Claes Oldenburg. Il créé avec des tissus populaires (coton, vinyle) des sculptures molles, qui ne se tiennent pas, qui sont anti-goût : des sculptures qui n’ont clairement pas « la bonne forme ».

Avec son art, Oldenburg va faire une critique du puritanisme américain et va prôner un retour à la sensibilité et à la vérité. Avec ses soft sculptures, c’est un peu quitte ou double : on peut se sentir attiré et être pris d’une envie irrépressible de tâter ou de s’affaisser dans les œuvres. Ou à l’inverse, on peut ressentir un dégoût face à ces formes justement “hors normes”, “hors-goût”. Ou enfin (climax de la puissance de l’art), on peut ressentir les deux : être profondément attiré par des objets qui pourtant nous repoussent.

Claes Oldenburg, “Soft Toilet”, 142.6 × 79.5 × 76.5 cm, vinyle, 1966

Claes Oldenburg, “Soft Toilet”, 142.6 × 79.5 × 76.5 cm, vinyle, 1966

Lor-K, série “Objecticide”, matelas volontairement coupé, peinture acrylique, 2012, Paris, Berlin.

Lor-K, série “Objecticide”, matelas volontairement coupé, peinture acrylique, 2012, Paris, Berlin.

À présent, retour au XXIème siècle. Lor- K, dans un contexte bien évidemment différent, va en quelque sorte marcher dans les pas d’Oldenburg tout en ré-écrivant une histoire de l’art contemporaine, actuelle. Le travail de la street-artiste s’articule autour de la sculpture urbaine : avec la récupération des déchets trouvés dans la rue, elle crée des sculptures éphémères, vouées à s’auto-détruire et disparaître avec le temps. En redonnant une nouvelle identité aux rebut, elle aussi réagit à l’omniprésence des objets qui environnent notre quotidien.

Sa série « Objeticide » nous met au pied du mur : quelle relation entretenons-nous avec les objets ? En reconstituant de véritables scènes de crimes dans lesquelles les victimes sont nos déchets, Lor-K pointe du doigt cette manie humaine de jeter. Mais elle vient aussi toucher notre sensibilité, tout comme le faisait Claes Oldenburg : on aurait presque de la peine pour ces objets assassinés et ensanglantés.

Lor-K, série “Eat Me”, composition de matelas trouvés, 2016, Paris, Berlin

Lor-K, série “Eat Me”, composition de matelas trouvés, 2016, Paris, Berlin

Enfin, dans sa série “Eat Me” avec laquelle elle reconstitue des plats et aliments du quotidien à partir de matelas abandonnés, Lor-K pousse encore notre réflexion sur la consommation : au-delà de nos objets, quel rapport avons-nous avec l'alimentation, une alimentation toujours plus “fast”, toujours plus “cheap” ? 


Troisième étape : le temps du « aaaah »

Alors, je ne sais pas ce que vous pensez derrière votre écran à ce moment précis, mais c’est à ce moment que la réflexion personnelle rentre en jeu. Moi, je ne peux m’empêcher de me dire qu’un demi siècle sépare ces deux artistes et pourtant aujourd’hui notre relation aux objets n’a pas l’air d’avoir évoluée. Alors qu’en 1962 Claes Oldenburg critique un puritanisme tronqué, Lor-K, en 2012, nous confronte à la fin de vie de nos objets (obsolescence programmée et gaspillage, ces fléaux du XXIème siècle). 

Claes Oldenburg, “Bedroom”, installation, 1964

Claes Oldenburg, “Bedroom”, installation, 1964

Je pense qu’autant chez Lor-K que chez Claes Oldenburg, le rapport à la sensibilité est crucial dans la réflexion. Serions-nous ici face à une contradiction ? L’objet matériel pur et dur est censé être dépourvu de sensibilité. Pourtant, on pourrait pleurer pour un téléphone perdu, pour un collier cassé (poussons le vice, on sait que certains ont tué pour des objets). Comment est-il possible d’humaniser à ce point nos objets ? Et surtout, pourquoi le faisons-nous de manière totalement inconsciente ?

Enfin, je me pose une dernière question, peut-être moins philosophique, mais plus sociétale. Quel avenir pour notre monde rempli de déchets ? À l’heure des prises de consciences écologiques et environnementales, les œuvres de Lor-K ont une résonance particulière dans notre actualité, mais aussi pour nous, chez Artwork in promess.

En effet, concernés par les grands enjeux contemporains de notre société, nous souhaitons plus que tout que l’art soit porteur de messages forts et d'un nouveau regard sur le monde. Pour en savoir plus à ce sujet et découvrir nos engagements, contactez-nous.

Conclusion et résultats

Alors que pensez vous de cette méthode “art = histoire de l’art” pour apprendre à lire et apprécier (ou non) une œuvre ? Bien que l’exercice ne soit pas évident (des connaissances en histoire de l’art sont tout de même nécessaires), j’espère du moins que cet article aura permis de vous montrer que l’art peut être autre chose que simplement “beau” ou “moche”. Bien évidemment, ma méthode reste une méthode parmi tant d’autres pour apprendre à “lire” l’art, comme j’aime le dire. Elle n’est pas une obligation et heureusement car libre à chacun d’expérimenter son rapport à une œuvre d’art. 

Mais je suis profondément convaincue que cette question (l’art est-il meilleur quand il puise son inspiration dans l’histoire de l’art ?) restera toujours LA question de l’art contemporain. Et je suis toute aussi convaincue, qu’il n’y aura jamais de réponses définitives… Mais heureusement ! Car finalement, le débat reste ouvert et nous, chez Artwork in promess, nous pouvons continuer à vous faire part de nos réflexions passionnantes sur cet art fabuleux qu’est l’art contemporain...

Clara Herraiz